Toujours plus court, toujours plus creux

De plus en plus, la mode sur le web est au toujours plus court : tweets, statuts et à présent… articles de blogs. Voyons ce qu’on y perd.
CC Flickr - Maxually

Le cas Twitter

Au commencement était Twitter, réseau social de « micro-blogging », et ses tweets{{1}} [[1]]Publications sur Twitter, pour les novices[[1]]limités à 140 caractères. Cela se justifiait car l’un des intérêts de ce service résidait (et réside toujours) dans le fait qu’on peut publier un tweet par SMS (utile dans les républiques démocratiques où l’accès au web n’est pas beaucoup filtré). Ces derniers mois, on a ainsi pu suivre soulèvements, révolutions et émeutes en direct de Twitter.

Je suis fan de Twitter parce qu’il permet d’échanger avec pratiquement n’importe qui (et en particulier avec des sommités auxquelles vous n’auriez jamais pu adresser la parole autrement), même si la limitation à 140 caractères est chez moi une véritable frustration. Si vous suivez ce blog depuis quelques temps, je pense que vous ne serez pas étonné.

Comme je sais que mes lecteurs ne sont pas tous des tweet-addicts, pour faire simple, Twitter c’est comme Facebook sans ados en crise, sans photos dossier, sans vidéos à la con (quoique…), et sans « j’aime ta life trop lolante. Kiss biatche, t’es ma bestah ! ». Juste un flux (« fil ») d’information par utilisateur, qui sert à partager commentaires et liens avec ses abonnés (« followers »).

Puis les blogueurs

Ensuite, il y eu Seth Godin, gourou multi-facettes{{2}} du web anglophone, qui a fait de l’article de blog court sa spécialité. Et puis, vinrent les disciples admiratifs de la secte française du « Vivre avec son blog », vous savez, ceux qui font des blogs composés :

  • à 50% de teasing{{3}} pour vous vendre leur formation « Lancez un blog qui marche »,
  • à 30% de bilans de leurs affaires florissantes,
  • à 15% d’évidences et d’enfoncement de portes ouvertes,
  • et à 5% (au mieux) de vrais conseils et d’articles de fond.

Et naturellement, cette tendance, comme une tache de pisse sur un pantalon, ne demande qu’à s’étendre.

Pourquoi c’est naze

Zéro contenu

Et oui, plus c’est court, moins il y a de contenu donc moins l’article est intéressant pour le visiteur et moins il a de chance d’y trouver ce qu’il cherche. À moins de faire du haïku, mais ça ne semble pas être une spécialité des blogueurs français… Enfin tout ça présuppose que ledit article apparaisse dans les moteurs de recherche, comme on le verra plus bas.

Zéro commentaire

S’il n’y a rien d’écrit, il n’y a rien à commenter. CQFD, en dépit de ce que raconte le blog sus-nommé. À moins d’écrire un article en forme de question, mais même dans ce cas, pour susciter des réactions, il faut de toute façon amorcer le débat.

La punition de Google

Moins il y a de contenu, moins il y a de mots-clé à référencer. Logique. La recommandation habituelle est un minimum de 300 mots par article. En-dessous, Google vous accorde le peu de crédit que vous méritez.

Un appauvrissement de la pensée

En 2007, feu Jacqueline de Romilly (yes, je l’ai casée !) répondait au Point :

Le Point : Il existe d’autres formes de pensée que littéraire, sans pour autant tomber dans la barbarie.

J. de R : Sans doute, mais plus simplistes, qui assènent des vérités toutes faites, pauvres et sans nuances. Et qui risquent donc de déboucher sur une pensée appauvrie, squelettique. La pensée demande des correctifs, des nuances, de la subtilité, pas des dogmes tout faits issus des fast-foods de la réflexion.

Publier court, c’est vrai, cela évite de perdre son lecteur dans les méandres sinueux et parfois bourbeux de sa pensée. Mais perdre son lecteur dans le fil de ses pensées est un luxe car cela présuppose, en amont, une vraie pensée. Suivez mon regard…

Vouloir à toute force synthétiser et raccourcir toujours d’avantage pour ménager les facultés de concentration du lecteur et pour marquer son esprit par des formules choc, c’est se priver d’une analyse de fond, c’est offrir l’illusion de la réflexion, c’est vous embobiner dans des sophismes.

Désolé, mais la pensée, la réflexion, l’analyse, et de façon générale toute activité intellectuelle, ça demande du courage, de la patience et du temps. Parfois même, ça fait mal à la tête. On est bien loin de la culture du divertissement (joli oxymore !).

Mais c’est à vous de savoir si vous préférez payer ce prix ou gober aveuglément tout ce qu’on raconte et laisser les autres décider à votre place parce que « eux ils savent, moi j’y connais rien et ça ne m’intéresse pas ».

Au passage, si les internautes ont des facultés de concentration en chute libre et une forte propension à papillonner, c’est aussi parce qu’on les entraîne à être cons : on les assomme de stimuli de toutes origines et surtout, ils perdent l’habitude de maintenir leur attention de façon prolongée sur une seule chose. La tête, c’est comme les muscles, ça s’entraîne et ça s’entretient.

Conclusion

On a vraiment l’impression que ces blogueur font fort peu de cas de leurs lecteurs, mais on ne saurait leur en vouloir outre mesure puisqu’ils ne font que s’inscrire dans un mouvement plus général. Ils publient et alimentent leur flux RSS, c’est l’essentiel. Et la honte est bien partagée, donc modeste.

Ils vous veulent du bien, au fond, puisqu’ils vous évitent les maux de tête.

On me crie dans l’oreillette que les blogs ne sont pas destinés aux épanchements philosophiques. À bon ? Le web c’est avant tout ce qu’on en fait et ce qu’on décide d’en faire. Il y a toute une frange de la population qui crie au complot des média, qui se plaint de ce qu’on nous montre, de ce qu’on nous cache et de la culture qui fout le camp… On leur offre le web comme terrain d’expression, qu’ils en fassent ce qu’ils croient juste et qu’ils prennent leurs responsabilités. Ceux qui se contentent de se plaindre, et de subir les bras croisés me fatiguent.

[[2]]Ancien responsable marketing chez Yahoo[[2]]

[[3]]Racolage de lecteurs en jouant sur les effets d’annonce[[3]]

6 réflexions sur « Toujours plus court, toujours plus creux »

  1. Quelle analyse!

    En même temps, certains font long car ils ne savent pas être synthétiques. La longueur n’est pas forcément un gage de qualité.

    Sur le format court, je te rajouterai cette anecdote: aux USA, à force que les séries/programmes/films soient coupés par de la pub à tout bout de champ, les américains ne savent plus se concentrer plus de 10 minutes. Effrayant.

    J’aime

    1. Merci !

      La longueur n’est certes pas un gage de qualité. Cependant, quand tu veux être, comme J. de Rommilly l’indique, « subtil et nuancé », tu ne peux pas te contenter de jeter quelques phrases lapidaires. Un blog n’est pas un bloc notes, car tes notes te sont destinées, alors qu’un blog est destiné à ses lecteurs.

      J’aime

  2. je ne suis pas un pro en orthographe, mais il n’y a pas un « s » à « média » dans ta conclusion ?

    Il y a toute une frange de la population qui crie au complot des média

    J’aime

  3. je l’attendais, celle-là 😉

    « média », c’est déjà le pluriel de médium, donc en appliquant la grammaire stricte, on ne rajoute pas de « s ». Mais je sais qu’on voit beaucoup « médias » et l’usage faisant la règle…

    Voir le TLFI

    J’aime

Laisser un commentaire